Olé ! Rupetas ! (Joe Krapov)
« Bonjour,
J'ai un Dossier trиs important а vous confier avant de mourir ,Je suis Valйrie BRUXELLIA ancienne Directrice de la Banque Populaire en Belgique  вgйe de 35 ans d'origine Belge Je suis une trиs grande femme d'affaire .Je suis Orpheline de pиre et de mиre j'ai  grandir dans un centre D'Orphelinat je n'ai pas eu d'enfant ni  de famille. A mon Jeune вge aprиs les Analyses du Docteur  Roger  DUBOIS il se trouve que je  souffre d'un cancer du sein et que je n'ai pas vraiment assez de temps а faire sur cette terre et que bientфt je vais mourir.
Comme je vous ai dit que  Je suis une trиs grande femme d'affaire et que j'ai investir dans l'or et aussi dans l'immobilier et maintenant je dois mourir mais avant j'aimerais laisser tout mes fonds contenu dans une grande Banque en Cote D'Ivoire a quelqu'un afin que cette
personne fasse bon usage de cet argent, cette personne que j'ai choisir c'est vous  je vous prie d'accepter ma proposition. Toute ma fortune qui s'йlиve a la somme de 3 000.000 Ђ  contenu dans mon compte bancaire en Afrique de l'ouest prйcisйment dans le pays ou j'ai investir mon n'argent en Cote D'ivoire.
Je vous prie de me donner certaines  informations de vous afin que je puisse faire parvenir c'est informations a la Banque afin de leur informer que ces vous qui bйnйficierais de toute ma  fortune contenu
dans mon compte aux seins de la Banque BOA  Cote D'ivoire.
Comme informations j'ai besoin :
Nom / Prйnom : Adresse / pays / ville / profession N° de Tel : Votre pays d'Origine :
Je vous prie de me contacter aussitфt afin que je puisse vous remettre tout les contacts de la Banque BOA afin que vous puissiez prendre contacte avec cette Banque Pour le virement de cette fortune vers vous, Je vous informe que  mon souhait est que vous fassiez bon usage de cette fortune. Je vous йcris  depuis  l'hфpital ou je suis prйsentement je vous fais parvenir aussi une photo de moi en piиce jointe a mon mail.  
J'attends surtout votre mail et aussi les informations, dиs que possible car je ne sais Quant je  quitterais ce Beau Monde.
Que DIEU Vous Bйnisse, Mlle VALERIE BRUXELLIA »

Pendant que son client lit ce projet de réponse à Katia Laipouls-Sciere, Florent jette discrètement un œil sur le « Ouest-France » qu'il a plié à la page d'Ille-et-Vilaine avant que le vieux monsieur n'entre dans son bureau. Le gros titre dit : « La bouchère de Ménilmuche court toujours. Elle se serait réfugiée en province ».
Monsieur Juan lui rend la lettre et commente :
- Vous croyez vraiment que c'est la réponse appropriée ? C'est quand même h'rave, non ?».
Tout comme lors de sa première visite, l'élégant hidalgo tout ridé s'exprime avec des restes d'accent espagnol, suffisamment de grains de riz au safran et de rondelles de chorizo pour que Florent Fouillemerde, détective privé à l'agence Fiat Panda, puisse l'identifier comme un natif d'Ibérie mais pas assez pour remplir une gamelle de paella en vue d'un déjeuner cantoche du lendemain.
Monsieur Juan d'Ibérie. L'aristo andalou, grisonnant, costume impeccable, désireux de rester anonyme, sans nom, sans adresse, l'air encore inquiet d'avoir reçu une missive de cette aide-soignante qui lui parle de Mireille Icks, hésite.
- On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre, monsieur Juan ! Qui dit maîtresse chanteuse dit cachet de diva. Mais êtes-vous sûr qu'on n'en veut qu'à votre argent seulement ? »
- Quand même ! 3000.000 bêta, je ne les ai pas ! Même que la dernière fois je vous ai h'ratifié de pesetas, de doublons et d'escudos ! »
- Je sais. Mais puisque vous ne voulez rien me dire sur cette madame Icks, je ne peux pas faire des miracles, non plus ! Rennes est une ville très grande et je ne peux pas voyager dans vos souvenirs si vous ne m'aidez pas plus que ça ! »
Florent dit vrai. Le petit caudillo ne joue pas franco, ni de port, ni d'emballage. Ce n'est pas le mauvais cheval non plus, mais il a l'air aussi tocard que Rossinante ! Et il ne paye pas cher le détective qui, pourtant n'a pas ménagé sa peine. Puisqu'il semble s'agir d'une affaire de femmes, il s'est même risqué dans la rue Jean-Marie-Duhamel, là où, avant la guerre et avant Marthe Richard, il y avait une des trois maisons closes de Rennes. Le café Ramon y Pedro était fermé. Du coup, pas moyen d'interroger les descendants de réfugiés espagnols de 36 qui se réunissent là comme à « l'Etoile rouge » de Juliette. Et comment leur parler de Mireille Icks dont il ne sait si elle a été une joueuse de castagnettes, une danseuse de fandango, une lectrice de Garcia Lorca, une femme de mauvaise vie ou une hija de la Luna. Quel nom de jeune fille a-t-elle porté avant de devenir Mireille Icks ? Il n'a aucune photo de la dame à montrer que celle-ci :


Il ne sait pas dans quel domaine elle excellait. Le lancer de grenade dans les jardins de l’Alhambra ?
La fréquentation interlope de voyous en Facel Véga (sur Sarthe) ? Le cal des ronds de la baraka ? 
L’albenizdiction des cones de Rimou ? Est-ce qu’elle faisait la brouette madrilène à Ségovie ? 
Est-ce qu’elle s’est appelée Ségolène Malbrough à Pontivy ? Peut-être tenait-elle une auberge, forcément espagnole,
 et sa paella était connue dans toute La Corogne comme étant un délice de Galice ou au contraire le plus puissant 
et le plus repoussant des pièges Ast(o)uristes ? Tout est possible, même le pire. Elle a pu interpréter Carmen 
devant le général Franco ou vivre dans un cirque avec un pétomane à Tolède. Si tu veux l’épée de Tolède, 
Anatole, aide-toi et le ciel Tolèdera !
La vie de détective privé, ça n’est pas tous les Zurbaran ! Florent s’est posé au Museum café. Il a relu la lettre de Katia. Madame Icks. Mireille. Icks, ça fait plus belge d’honneur comme nom, comme du temps où je m’appelais Jacky et que je n’avais pas un sou vaillant, Michel ! Allez, Jean, grattons ! Et Mireille ça vient là comme un cheveu sur la tête à Matthieu qui aurait gardé l’accent qu’on attrape en naissant du côté de Marseille. Accent provençal, pour peu qu’il y ait un peu de Mistral et beaucoup de Frédéric. De la Provence à l’Espagne, il y bien un pont, celui d’Avignon, sur lequel elle aurait pu danser la zarzuela. Serait-elle une des demoiselles du tableau de Pablo ? Poser nue pour Picasso, ou pour Dali, c’est s’exposer sans doute à entendre la blague des « rupetas ». La célèbre humoriste américaine, Mrs U.N. Joye-That qui connaît le « Dictionnaire des histoires drôles d’Hervé Nègre » par coeur la raconte sur son blog bien connu « Histoires de Toto et de rhinos » :
C'est un homme qui entre au resto en Espagne et qui voit que l'homme à côté a devant lui un excellent plat de viande. Il commande pareil au garçon

- Oh, señor, je suis désolé, il n'y a qu'un seul plat de viande comme ça par jour, vous savez. Cela vient de la corrida.
- Ah ! D'accord ! dit l'homme.

Le lendemain il pointe de bonne heure et commande le plat. Succès, il est le premier ! Mais imagine sa surprise de voir une assiette devant lui qui n'avait que deux petits morceaux maigrichons.

- Qu'est-ce qui se passe ???  s'écrie-t-il.
- Mais, señor, explique le garçon, ce n'est pas toujours le taureau qui perd !



Enregistrée avec son masque respiratoire sur ONMvoice, c'est encore plus drôle ! Mais revenons à notre affaire. Tout est possible dans cette enquête. En 94 ans de vie, Mireille a pu s'appeler Sara (Sara Picasso ?) et Juan aurait connu Sara gosse. Elle a pu vendre des roses blanches de Cordoue dans un bar à tapas de Valladolid, s'appeler Chantal Lagoya et jouer le concerto d'Aranjuez sous un kiosque à musique de la Costa del Sol, être surnommée la Tantina de Burgos ou la Pasionaria de Salamanque. Voire le taureau de Bilbao !

 

- Les Espagnoles ont le sang chaud, pensa Florent en regardant une des gravures du Museum café. »

A côté d'un moulin à café d'avant, une grosse dondon qui rote, de la manche, s'essuie les lèvres après. C'est la servante et elle se prénomme Tess. Il est temps qu'il sorte du bistrot, l'abus de bière blanche provoque de drôles de visions, parfois. Non, ce monsieur Juan ne l'aidait pas beaucoup. Quelle histoire, vraiment ! Et c'était bien parce que le type du « Jeton d'argent », la petite boutique intemporelle de numismatique de la rue de la Psallette, lui avait fourgué un méchant pacson de biftons en échange des doublons du barbon que Florent était allé faire le con jusque dans la rue de Léon. Chercher dans Rennes des traces de l'inexistante Dulcinée Del Toboso de Juan le gras du bidon n'était pas coton.

Il avait ressorti la lettre, avait trouvé invraisemblable le post-scriptum qui jurait tant avec l'appel presque touchant de l'aide-soignante. Quand on a des lacunes en orthographe, on ne se vante pas de s'être fait aider ! Et puis, selon lui, une aide-soignante n'aurait pas écrit « diafoirine ».

« Diafoireuse », peut-être, à cause de l'épée de Tolède ! Bref, tiré à hue et à dia entre devoir et goût de la flânerie rennaise, il s'était retrouvé rue de Léon où, autre provocation de la chaude Espagne, se trouvait le Banana-club.
- On n'a jamais connu de Mireille, ici, Monsieur ! »

Quand il avait prononcé « Icks », ça s'était gâté !

- C'est un établissement respectable ici ! Pas un sex-shop ou un peep-show ! Finissez votre verre et sortez ! »

Il avait eu l'impression d'être pris pour un flic. Mais bon, après tout, pour un détective privé, quoi de plus normal ?

Maintenant que le vieux petit monsieur énigmatique était revenu s'enquérir du résultat de l'enquête, il lui avait raconté tout cela et Juan en avait paru presque soulagé. Plus personne ne semblait se souvenir de Mireille excepté Katia Laipouls-Scière là bas dans son bled d'Eure-et-Loir. Il aurait presque suffi de ne pas lui répondre et tout le monde aurait été content. Mais, moitié par provocation, moitié pour savoir si c'était de l'art ou du cochon cette histoire d'homme poursuivi par une vindicte féminine que le papy lui avait servie la première fois, Florent avait eu l'idée de lui suggérer de répondre avec cette lettre de Mme Bruxellia que lui-même - quelle coïncidence ! – avait reçue le matin même dans sa boîte mail.

- Je ferai comme vous voudrez, Monsieur Fouillemerde. Si vous pensez que c'est la bonne solution. ».

Il hésita puis demanda :

- Je peux revenir la semaine prochaine ? Pour voir s'il y a une réponse ? ».

Florent soupira. Quel crampon c'était donc que ce Soupalognon y Croûton ! Le toréador ne lâchait pas sa banderille.

- Si vous voulez. A la même heure, alors. »

Très grand seigneur, le vieux déposa une nouvelle poignée de doublons scintillants sur le bureau du détective. Il lui serra la main puis, très digne, sortit.

Florent s'approcha de la fenêtre, le regarda hésiter puis faire quelques pas dans la rue du Pas-de-Calais. Il décrocha son imperméable, l'enfila puis, très vite, tel un Roubaisien au stade vélodrome, il prit le Bahamontes en filature. Ca ne faisait pas un pet qu'il lui cachait des choses.

Mais lui s'était bien gardé en retour de lui parler de la dernière partie de son enquête. Un simple coup d'œil au code postal de l'Eure-et-Loir lui avait permis de découvrir que la localité de Berdoncière était inexistante. Une recherche dans les pages blanches de Wanadoo l'avait assuré que Katia Laipouls-Scière n'était pas parmi les Gabonais au numéro que vous avez demandé ou alors sur liste rouge. Quant à la résidence des Ecureuils, elle était sortie tout droit de l'imagination d'un casse-noisettes Tchaïkovskien. Ce qui le changeait un peu, pour le coup, de toute cette corrida espagnole !

Maintenant, pour ce qui concernait Valérie Bruxellia et la bouchère de Ménilmuche, il valait peut-être mieux
écrire : 
(à suivre)