De Beg-Leguer à Trébeurden par Pors-Mabo le 31 octobre 2010 (7)

une limonade bien méritée
Une limonade bien méritée ! Enfin, trois limonades bien méritées !

Commentaires

1. Le vendredi 5 novembre 2010, 22:42 par Oncle Dan

Il y avait dans notre hôtel grand luxe, comme dans tout hôtel grand luxe qui se respecte, un bar où l'on ne vous sert pas.
Pour nous, c'était le " Bar Café Cubitas ".
C'est un bar qui ressemble à tous les autres. Il y a des garçons qui s'affairent derrière le bar et même parfois devant. Cinq, qu'ils étaient.
Il ressemble tellement aux autres que vous vous laissez prendre et que vous venez vous asseoir dans un confortable fauteuil devant une table basse. L'attente commence.
Personne ne vient vous demander ce que vous désirez boire. Un garçon passe parfois entre les tables, un plateau à bout de bras, très stylé, avec l'apparence de l'empressement, mais jamais il ne s'approche de vous. Ca, c'est le grand luxe. Un luxe que l'on ne trouve jamais au bar du PMU.

Vous jouez le jeu. Vous mimez celui qui a soif et vous commencez à agiter les bras pour faire signe. Un signe qui veut dire : " S'il vous plaît, venez prendre ma commande !". Naturellement, vous choisissez les instants où il vous semble que l'un des " faux-serveurs " regarde dans votre direction. Mais non, celui à qui vous avez fait signe bifurque instantanément et on a vraiment l'impression, bien que cela nous paraisse impossible, qu'il ne nous a pas vu. Incroyable. La classe quoi.

Que j'aime ces bars où l'on ne vous sert pas. J'ai même observé que je les aime surtout quand je ne suis pas pressé.

Ces bars, qui n'existent bien sûr que dans les grands hôtels de très grand luxe (les autres ne peuvent en faire autant sous peine de faillite à brève échéance) vous laissent tout le loisir d'observer les vas et viens, le ballet des " faux-serveurs ", toutes ces beautés et originalités qui nous entourent et que la précipitation moderne nous empêche de voir. Parfois même, il vous est offert le spectacle d'une petite scènette de boulevard, impromptue et totalement gratuite dans la mesure où elle est comptée dans le prix des consommations.

J'étais assis dans mon confortable fauteuil (Aristippe5 lui-même n'aurait pu souhaiter être plus confortablement assis) depuis une demi-heure, trois quart d'heure peut-être (en vacances, je ne regarde jamais ma montre à cause du décalage horaire), quand la discourtoisie latente d'un monsieur qui agitait, comme moi, ses bras depuis quelques temps, s'exhala soudain en propos blasphématoires, où le saint nom de Notre Seigneur se trouvait fâcheusement mêlé.
Il voulait sans doute impressionner la petite jinetera qui l'accompagnait.

Il s'approcha du bar, attrapa le revers du veston d'un " faux-serveur ", ignorant sans doute qu'il était dans un hôtel de grand luxe, et cela eut pour effet, à ma grande surprise il me faut l'avouer, de transformer le " faux-serveur " en " vrai-serveur " ! Incroyable mais vrai !
Le spectacle ne faisait que commencer.

Il commença par hurler qu'on le faisait croupir dans une chambre pour bonne, de la fenêtre de laquelle il ne pouvait apercevoir - et encore, au prix d'un douloureux torticolis - que quelques vieilles guimbardes pourries réservées à la direction de l'hôtel ! De qui se moquait-on ? Il avait réservé une suite, Monsieur. Oui, une suite. Mais les cubains ne sont pas de parole. Ah, il s'en souviendrait de son voyage cha cha cha ! Sans parler de sa serviette de bain qui avait disparue pendant qu'il prenait sa douche ! Ah ! elle était belle l'hôtellerie cubaine !

Et maintenant, pas moyen de se faire servir un cocktail ! Il croyait rêver. Ne pas pouvoir se faire servir un cocktail à Cuba, le paradis du cocktail ! Si c'était une cabale, une intrigue, un complot, une conjuration contre lui, qu'on le lui dise tout de suite. Il n'insisterait pas. Il partirait.. Mais avant, qu'on le rembourse avec en sus une indemnité compensatoire pour la suite qu'il attendait toujours.

Alors, pour se venger, il dit au vrai faux serveur :
- Donnez-nous deux grands verres.
- Voilà, monsieur.
- Je vous dis deux grands verres, et non point deux dés à coudre. Donnez-nous deux grands verres.
- Voilà, monsieur.
- Enfin ! Du sucre, maintenant.
- Voilà, monsieur.
- Non, pas de ces burlesques morceaux de sucre ... Du sucre en grain.
- Voilà, monsieur.
- Pas, non plus de ce sucre de la Havane qui empoisonne le tabac.
- Mais, monsieur ...
- J'exige du sucre en grain des Barbades. C'est le seul qui convienne au breuvage que je vais accomplir.
- Nous n'en avons pas d'autre que celui-là.
- Triste ! Profondément triste ! Enfin ...
Et cette brute jeta au fond des deux verres quelques cuillerées de sucre qu'il arrosa d'un peu d'eau.
- Et maintenant, deux citrons !
- Voilà, monsieur.
Là, je crus qu'il allait s'énerver quand je le vis jeter un regard de profond mépris sur les citrons apportés. J'attendais la suite (comme lui, mais la même !), de plus en plus intéressé.
- Deux autres citrons !
- Voilà, monsieur.
Cette fois, l'homme entra dans une réelle fureur :
- Je vous demande deux autres citrons ! ... Entendez-vous ? Deux autres citrons ! Deux autres ! Non point two more, mais bien two other ! Des citrons autres ! Vous me f... là des limons de Cuba ! Alors que je rêve uniquement de citrons provenant de l'île de Rhodes ... Avez-vous des citrons provenant de l'île de Rhodes ?
- Pas pour le moment.
- Ah ! c'est gai ! Enfin ...
Et arrachant les citrons des mains du vrai faux serveur, il en exprima le jus dans les verres.
- Du gin, maintenant ! Quel gin avez-vous ?
- Du Anchor gin et du Old Tom gin.
- Du vrai Anchor ?
- Du vrai.
- Du vrai Old Tom ?
- Du vrai.
- Et du Young Charley gin ? Est-ce que vous en avez ?
- Je ne connais pas ...
- Alors, vous ne connaissez rien. Enfin ...
Et il versa dans chaque verre une très copieuse rasade de Old Tom gin et avec une longue cuillère il agita ce début de mélange.
- De la glace, maintenant !
- Voilà, monsieur.
- De la glace, ça !
- Mais parfaitement, monsieur !
- D'où vient cette glace ?
- De la fabrique de glace de Varadéro, monsieur !
- L'usine de glace de Varadéro ? Elle est peut-être parfaitement outillée pour fournir de l'eau bouillante pendant la saison des pluies, mais elle n'a jamais su le premier mot du frigorifisme. Vous pouvez aller lui dire de ma part...
- Mais, monsieur !
- D'ailleurs, je ne connais qu'une glace vraiment digne de ce nom : celle qu'on ramasse l'hiver dans la Barbotte !
- Ah !
- Oui, la Barbotte ! La Barbotte est une petite rivière qui se jette dans le Richelieu, lequel Richelieu se jette dans le Saint-Laurent ... Et savez-vous le nom de la petite ville qui se trouve au confluent du Richelieu et du Saint-Laurent ?
- Ma foi, monsieur ...
- Ah ! vous n'êtes pas calés en géographie, vous autres cubains ! Il est vrai que vous n'avez pas souvent l'occasion de sortir ! La petite ville qui se trouve au confluent du Richelieu et du Saint-Laurent s'appelle Sorel... Et surtout n'allez pas confondre Sorel en Canada avec Cécile Sorel ! Jurez-moi de ne pas confondre !
- Volontiers, monsieur !
- Alors, donnez-moi votre sale glace de l'usine de Varadéro.
- Voilà, monsieur.
- Vous n'avez plus, désormais, qu'à nous apporter deux bouteilles de soda... Quel soda détenez-vous ici ?
- Mais... Du Sprite !
- Ah ! Seigneur ! du Sprite !... Certainement, le Sprite n'est pas une marque dérisoire de soda, mais auprès de celui que fabrique mon vieux old fellow Mooanman de Fall-River, le Sprite n'est qu'un fangeux, saumâtre et miasmatique breuvage !... Enfin... Donnez-nous tout de même du Sprite !
Le malheureux vrai faux serveur eut alors la mauvaise idée d'apporter des pailles.
- Ca, des pailles ! fit l'homme en colère avec explosion.
- Mais, monsieur...
- Non, ça, ça n'est pas des pailles ! C'est de la paille, et de la paille périmée, sortant de dessous - saura-t-on jamais ? - quelles innommables vaches ! Je n'ai pas pour habitude de boire dans les étables. Je pars !
Et il quitta précipitamment le bar, traînant derrière lui sa petite jinetera qui, mon Dieu, paraissait plus amusée qu'abusée.

Il avait toutefois nonchalamment jeté sur le bar, avant de partir, une boulette de papier qui s'avéra être, autant qu'il m'était possible d'en juger d'où je me trouvais, un billet de cinq dollars.

2. Le vendredi 5 novembre 2010, 22:53 par marotte

Bon, ben, à la votre !

3. Le samedi 6 novembre 2010, 20:18 par Joe Krapov

Oncle Dan : Tu gagnes haut la main le concours du plus long et du plus stylé commentaire laissé sous un billet de ce fichu blog ! Et s'il y avait un concours de réincarnation d'Alphonse Allais, tu gagnerais aussi !
@Marotte : A la tienne également

4. Le samedi 6 novembre 2010, 23:04 par Kate

Je paye ma tournée aussi, tiens !